La folie a sa propre logique et le vrai fou se sait sain d'esprit : c'est ce qui fait sa force. Il a un avantage énorme sur les autres, pour qui l'équilibre mental est avant tout une affaire de consensus.
La superstition a la même racine que l'obéissance. L'esprit énervé qui se retranche le jugement personnel est promptement envahi par les croyances folles. Privé du discernement, il tombe dans le rêve, et sa débilité acquise le replonge parmi des imaginations d'enfant.
Un vrai peintre regarde avec plaisir un bras bien attaché et des muscles vigoureux, quand même ils seraient employés à assommer un homme. Un vrai romancier jouit par contemplation de la grandeur d'un sentiment nuisible - ou du mécanisme ordonné d'un caractère pernicieux.
J'aime mieux en rase campagne rencontrer un mouton qu'un lion; mais derrière une grille, j'aime mieux voir un lion qu'un mouton. L'art est justement cette sorte de grille; en ôtant la terreur, il conserve l'intérêt. Désormais, sans souffrance et sans danger, nous pouvons contempler les superbes passions, les déchirements, les luttes gigantesques, tout le tumulte et l'effort de la nature humaine, soulevée hors d'elle-même par des combats sans pitié et des désirs sans frein.
Voyez le travail machinal et monstrueux des candidats qui aspirent aux grandes écoles, puis, au sortir de ces mêmes écoles, la fatigue profonde, l'allanguissement, la flânerie au café ou à domicile, l'inertie bureaucratique ou provinciale. Comparez l'élève de l'École polytechnique, cloué quatorze heures par jour devant des formules, et l'ingénieur qui va bâiller, sa femme au bras, pour voir si ses cailloux sont bien cassés. Avec cet encombrement des carrières et cette réglementation des étapes, nous parvenons d'abord à essouffler nos chevaux de course, ensuite à les changer en bidets de fiacre.