On devrait toujours prendre des photos, même si on n'a pas d'appareil, au moins avec son esprit. Les souvenirs qu'on se fait soi-même, volontairement, sont toujours plus vifs que ceux qu'on enregistre par accident.
À la différence de celui des oiseaux, qui est semblable à un miroir, l'œil humain, par une qualité inexplicable, se laisse pénétrer par le regard de l'autre et s'avère porteur d'un sens dont nul ne peut décider à priori quel il sera.
Si la philosophie, comme les religions, trouve sa source la plus profonde dans une réflexion sur la " finitude " humaine, sur le fait qu'à nous autres mortels, en effet, le temps est compté et que nous sommes les seuls êtres dans ce monde à en avoir pleinement conscience, alors il va de soi que la question de savoir ce que nous allons faire de cette durée limitée ne peut être éludée.
Il est des moments où nous ne sommes pas là pour transformer le monde, mais tout simplement pour l'aimer, et goûter de toutes nos forces les beautés et les joies qu'il nous offre.
Il me semble que nous devrions, à l'écart du bouddhisme et du christianisme, apprendre enfin à vivre et à aimer en adultes, en pensant, s'il le faut, chaque jour à la mort. Point par fascination du morbide. Tout au contraire, pour chercher ce qu'il convient de faire ici et maintenant, dans la joie, avec ceux que nous aimons et que nous allons perdre à moins qu'ils ne nous perdent avant. Et je suis sûr, même si je suis encore infiniment loin de la posséder, que cette sagesse là existe qu'elle constitue le couronnement d'un humanisme enfin débarrassé des illusions de la métaphysique et de la religion.